La nuit
La nuit, je chevauche les aurores. La lune qui tire les ficelles avec son sourire de Joconde, est sa reine de pique. La lune est aussi le soleil des loups. Sa lumière d'étoile morte en montrera bien assez sur ces bêtes qui effacent leur ombre et retroussent leurs flancs quand ils nous sentent. Nous sommes leur plus grande terreur mais c'est à celle-ci qu'ils doivent leur survie. La différence entre eux et nous ? Avec le loup, nous avons tissé des légendes, autant de prétextes pour supprimer le sauvage en nous, et tirer gloire du courage qu'il y aurait à transformer l'animal en carpette. Le loup doit son salut et son territoire immense à son sens de l'observation des animaux malades, des enfants chétifs et des tartarins. Le loup vient de plus loin que la nuit et ne perd pas son temps à tirer gloire. On le croit en Italie, il est déjà en Normandie, prêt à traverser la Manche dans une auge de pierre. Quand il enfile son costume d'invisibilité, il est la nuit même, de celles qui ne laissent aucune chance au jour, des ces nuits profondes comme la forêt. A durée égale, la nuit sera de plume ou de plomb. De plume quand les mains de l'amant courent sur la soie de votre peau - à la recherche d 'une source, ou quand le sommeil ne demande rien d'autre que lui-même. Quand au plomb fondu, ces nuits où l'espoir monte à l'échafaud, je vous les laisse. Parce que là, les poètes me sauvent. "Même la nuit, les fleurs du camélia sont rouges" - Yvon Le Men. "Il y aurait donc, dans le plus noir des noirs de la lumière à supposer" - Guillevic. "La nuit, la mer entre dans ma chambre avec des navires" - Yannis Ritsos. La nuit autorise l'espoir et les grandes épopées.
Un château en Espagne
Les hommes ont toujours bâti des châteaux. A défaut de châteaux, des utopies où l'on vivrait en paix. Les utopies c'est comme l'amour et les forteresses, ça finit souvent dans l'huile bouillante, mais ces pointes de vent qui poussent nos esquifs sont vitales. L'humain est un enfant créatif. Qui n'a bâti un château sur le sable, pour le sauver des eaux - tout en le condamnant d'avance à la submersion. Chaque marée pointe immanquablement la vanité de la mission. Car la mer toujours recommencée n'est jamais repue. Les douves sont toujours à creuser plus profond, l'enceinte à consolider sans relâche. A l'étroit dans son carré de sable, l'enfant devenu adulte continue, et son jeu devient guerre. Ne pas s'effondrer, ne pas s'enliser, tenir, défendre la place forte. Bref, gagner. D'autres préfèrent les châteaux de cartes, ces tours de passe-passe, ces édifices arrogants et sans épaisseur, que la brise, dans un petit rire, aime à jeter à terre. Mais l'être humain et ses entreprises étant des défis permanents à l'équilibre du monde, on ne doit donc pas s'en étonner.
En Espagne ou ailleurs, Il y a des châteaux à cent chambres, mais qu'en ferais-je ? A moins de se marier, de vivre heureux et d'avoir beaucoup d'enfants, le projet ne vaut pas un peso. Les fantômes toréent la nuit dans les couloirs, rendent la vie impossible aux chauve-souris, aux cousines grincheuses et aux courants d'air. Ils font aussi grincer les volets et dérèglent les boîtes à musique. C'est irritant. Mais surtout, j'ai une bonne raison pour laquelle je n'ai pas besoin de château en Espagne. Je l'ai eu, ce château. Une chambre sous un ciel andalou caressée de jasmin, avec un amour dedans. Une tourterelle sur le toit. Et un mulet qui passait en courbant la tête la porte de la maison voisine pour rejoindre chaque soir le patio, portant son cavalier, un paysan argentin sec et silencieux. Un amour dans la chambre, disais-je, qui donnait à tout ce qu'il touchait goût de paradis, faisait pousser les ailes et les murs. Cette petite maison blanche d'Andalousie était mon château. Il était dans le village de M., j'y suis allée quinze fois. Puis un jour, l'amour s'est envolé et j'ai rebâti mon château plus loin. Bâtir des châteaux en Espagne est le propre de l'homme. Cela le pose pour quelque temps. Mais il ne devrait pas succomber à l'illusion : au fond, tous les châteaux, jusqu'aux plus imposantes forteresses, sont de sable. MF
LE TEMPS FAIT DE LA RÉSISTANCE
Le temps qui passe, personne n'y échappe, nul n'en réchappe. C'est dire l'importance du sujet. Le temps est un sablier qui s'écoule. A la fin, on le retourne, encore et encore. Cette illusion de mouvement perpétuel nous fait croire qu'on peut miser sans fin. Mais le jeu n'est pas infini et ce n'est pas nous qui sifflons la fin de partie. Je connais un collectionneur de sabliers, il n'échappera pas à sa date de péremption. Mais le sable qui coule, c'est la vie qui passe. Les grains de sable sont des secondes, des minutes, des années, des décennies. Les siècles ne sont pas pour nous, mais pour les montagnes, les tortues et les vieux chênes. Il n'y a pas plus bavard qu'un vieux chêne. Il a vu les loups faire meute contre la chair fraîche, le maître de marine choisir d'une main sûre les mâts de la Boussole de monsieur de Lapérouse en 1780, vu nos aïeux manger des glands à défaut d'autre chose, puis aiguiser leurs fourches pour percer les ventres pleins. 1788, la Boussole faisait naufrage. 1789, on coupait les têtes farinées. C'est comme cela que le temps coule, et avec lui, parfois, le sang. Le temps c'est de la vie vraie. J'ai vu un insecte dans un morceau d'ambre. Il prenait la pose dans cette résine fossile depuis des dizaines de milliers d'années, pauvre damné. Le temps fige pour une vaine postérité. La bête finira, au mieux, dans une boîte étiquetée au Musée d'histoire naturelle, près de la dent, grande comme deux mains, du mégatyranodon, et puis c'est à peu près tout. Nos souvenirs et nos passions durent-ils dans l'ambre ? Fondent-ils dans l'eau comme du sucre ? Je pense qu'ils font de la résistance, comme les poissons qui remontent le courant. A l'allusion d'une passion, rappelés au détour d'un visage entrevu, revient en trombe la vérité du feu présent, jaillit la volupté des caresses et le rappel précis de cette faim amoureuse-là. Le temps, alors, sort de l'ambre.
Le temps passe. Je peux le regarder passer comme une vache dans son champ, broutant et ruminant, me dire que je n'ai pas ma place dans le train, que le billet est trop cher, que le train ne s'arrêtera pas dans ma gare. Mais cela n'empêche pas le train d'avancer, en faisant des étincelles sur les rails et en troublant le sommeil des riverains. Le temps juge. Pèse vos frustrations et vos joies aux moues et aux rides. Attend patiemment la fin du marché pour faire ses comptes et recenser les bêtes vendues. Le temps est un comptable froid : débit, vérité des prix, la maison ne fait pas crédit. Le temps finira par voler la pomme de votre visage, la noisette de vos yeux, l'élastique de vos pas. Mais nous pouvons opposer à ce temps-là une autre logique comptable. Aux réserves physiques qu'il se plaît à grignoter, aux rides qu'il s'emploie à creuser, il ne peut s'en prendre à la sagesse, même infime - engrangée au fil des ans et des guerres, aux progrès de l'artiste qui remet chaque matin l'ouvrage sur le métier, à la joie de l'artisan qui discipline jour après jour la feuille d'or rebelle, et de tous les autres, et nous avec, qui faisons de notre mieux. Le temps est notre allié pour faire lever la pâte, transformer le blé en herbe en blé dur, réveiller le machaon émeraude de sa vilaine chrysalide. Le temps invite chaque saison à s'accomplir avant qu'elle ne saisisse la main de la suivante. C'est riche de la saison écoulée que je tends la mienne vers celle qui advient. MF
SEIN. OUESSANT. MOLÈNE. Embarquement différé. Moutons en furie dans le bassin n° 1. Celui qui dit qu'il n'y a plus de saison est invité à venir prendre un petit jus au port quand le suroît furoie, quans la tempête tempête. La vraie, celle qui fait valser les poubelles, bataille avec l'indéfrisable de tante Yvonne, abat les arbres sans tronçonneuse. Quand l'Abeille s'tire à Ouessant, l'beau temps fout l'camp. A Brest, on sait ça dans le ventre de sa mère. Quand le vaillant remorqueur monte au front en mer d'Iroise, hache la houle menu, prêt à sortir ses grappins pour sauver femmes, enfants, hommes et navires, c'est qu'il va y avoir du sport. Le zef, dans sa splendeur, fait bouillonner l'eau verte. L'écume volatile saupoudre les quais. C'est la vie de tempête. La vie contre vents et marées. Quand j'étais petite et que j'avais peur des fantômes, je murmurais pour me rassurer "et si c'était le vent ?" Aujourd'hui, je sais que ce vent-là chasse aussi les fantômes. Je le supporte, pour cette raison, un tout petit peu plus. Et si je ne le déteste pas totalement, c'est parce que le vent a des vertus démocratiques. Allez jouer les élégants avec des vents de 130 km à l'heure. Désossés, et, de toute façon, égarés les parapluies. Docker, consul, employé de sous-préfecture, cadre A, ouvrier du port, tous, enfilent le même vêtement sans forme, au col si possible relévé, et d'une couleur indéfinie que, par commodité, nous appellerons "cache-tempête". Ailleurs, en France, où on n'a pas la chance de prendre des coups de chien en plein museau, on lui donne le nom, beaucoup moins seyant, vous en conviendrez, de "cache-poussière". L'uniforme du Brestois n'est pas le pompon rouge, mais le cache-tempête. Le Brestois est un animal amphibie. MF
ILE DE SEIN, POUSSIERE D'ETOILE.
A Sein, la rose des vents a la tête qui tourne. Chaque mur a son baromètre. Flanqué, c'est selon, d'une statue de la sainte vierge. L'îlien vit avec son temps. Le beau, que l'on vient chercher pour la journée. Le mauvais aussi, qu'on ne choisit pas.
La tempête essore son linge au-dessus des têtes. Décembre. Départ de Ste Evette, Audierne, 9h. Dans le grand salon du bateau, un cercueil en chêne. Assise à côté, une heure avant l'enterrement qui videra les maisons de l'île à la fin de la matinée, la famille répète l'éloge funèbre de Marie, 83 ans, qui revient au pays pour toujours, après un purgatoire dans une résidence pour personnes âgées dans le Cap Sizun. On se laisse dire que l'océan a toujours dansé dans les yeux de cette dame au grand coeur qui aimait le grand air. Qu'elle aimait « ramasser le goémon et faire sécher son linge au vent ». Marie aura le droit aux chants bretons dans l'église. A ce propos, côté religion, Sein est ravitaillée par les recteurs du Cap. Comprenez le Cap Sizun, qui est la (presqu)'île d'en face.
Sein vit avec la mer des amours cannibales. Entre l'île et la houle, les liaisons sont dangereuses. Le combat est encore égal. Jusqu'au jour où. La question de la solidité des digues ne cesse de hanter : le château n'est pas de sable, mais le visiteur, qui prélèverait un galet en guise de souvenir, est prévenu par une affiche : « n'emportez pas nos cailloux, ce sont nos défenses ». Faites le calcul : cent vingt mille visiteurs, cent vingt mille cailloux, à ce rythme, on met l'île à nu. Pire. Voudriez-vous qu'on parle bientôt de Sein comme de la belle engloutie ? Cette poussière d'étoile - on y a trouvé des météorites, a une peur bleue de l'océan. D'un coup de balai distrait, celui-ci, un jour, pourrait bien l'envoyer promener. En 1987, pour l'ouragan, le coefficient n'était que de 25. Imaginez ce vent en pleine tempête d'équinoxe cogner sur le roc, sous les quais, cracher et écumer jusque sur les toits.
A Sein, les absents sont moins absents qu'ailleurs. D'abord, on devine entre les rochers l'ombre des vestales. Sein fut d'abord gauloise. Car il y eut Sena, déesse qui avait le pouvoir de déchaîner vagues et vents. Sa toison d'or était celle des algues. L'enchanteur Merlin y serait né, lui, l'auxiliaire d'Arthur, chevalier de la Table ronde. Pour les détails, adressez-vous aux Causeurs, les deux menhirs pétrifiés de la place de l'église. Et n'oubliez pas les Romains. C'est ici que César aurait été mis en échec, par « une poignée de diables de la mer ».
La tactique de la tortue romaine. La résille des ruelles fait barrage au vent. "C'est à cela qu'elles servent, à nous abriter », dit une îlienne, qui vous guide d'une rue à l'autre comme si elle vous faisait les honneurs de sa maison. Pour un peu, vous mettriez les patins. Et, bien sûr, vous éviterez d'attarder vos regards aux fenêtres. Courtois, vous serez comme on le sera ici avec vous. C'est la promiscuité qui veut ça. Le vent hurle ? On n'a pas peur de la tempête. L'île ferme les écoutilles. Avec ses maisons serrées comme des pilchards dans la boîte, elle fait bloc. Au sens propre et figuré. Ici, on appelle cela "la tactique de la tortue romaine". On s'abrite, sauf s'il y a des vies en jeu. Un équipage à sauver, une patrie en danger, même combat. Appel du général ou du simple marin, les gaillards sont sur le pont.
« Nous ne sommes pas coupés du monde, nous sommes même moins isolés qu'ailleurs. Sur l'île, chacun trouve ce qu'il veut bien trouver. Et on ne vient en aucun cas pour régler ses problèmes personnels. Quand c'est le cas, la greffe ne prend pas. On s'intègre bien si on est bien", dit Hervé. Small is beautiful, mais une île n'est pas forcément un paradis. Alors, retenez ceci : « ne vous mêlez pas des histoires des autres ». MF
DANS CARGO, IL Y A GO
Cargo. Le mot est massif. Le cargo est un mastodonte qui saigne l'outremer et outrepasse les océans. Le ventre tatoué de hiéroglyphes et de noms à dormir dehors. Les hommes y sont minuscules, qui radoubent les flancs granuleux à coups de pattes de mouche, les pieds dans les jets de salive rouillée des octopus. Ils grattent et transpirent sous les cris ferreux des goélands, ternes chants obsédés par une seule octave, annonciateurs de tempêtes et d'infortunes. Cargo. Le mot a de la voix, il en impose. Des cales sans fond, sautant sur des mers, je vous le jure : turquoise et violette. Le cargo aime la ligne droite mais promet des escales à celui qui préfère la terre ferme à la mer, parce qu'un tiens vaut mieux que deux tu iras. Des rats, peut-être, à bord, la phobie. Des cargaisons perdues. Des bananes antillaises, qui le croirait, mûrissant sous la main ferme des tempêtes. Les cargos doublent des caps. Comme si ceux-ci faisaient aussi la course. Fendeurs d'océans, pourfendeurs de tempêtes, Poséidon les possède. Sur un cargo, la mer est le seul langage commun parce qu'il est rare que l'on parle la même langue du fond de la cale à la passerelle. L'homme part petit pour le voyage. Car il voyage pour se mesurer. Pas sûr qu'il en revienne grandi. Mais quelque chose l'aura trouvé. Le nomade aime le cargo. Le sédentaire aussi, qui ne déteste pas voir le décor de son horizon changer. Il change bien de temps à autre, la tapisserie de son salon. Un jour, moi aussi, j'irai. « Donnez-moi une chambre sans fenêtre » dit cette voyageuse dans le cargo. Elle ne conçoit le voyage à bord que dans le noir avec une faible lampe. Rassurée d'être au placard sur la mer immense. L'obscurité, rempart contre l'infiniment trop grand. Des pas métalliques sur des escaliers qui ne sont blancs qu'à la passerelle. La mer seule lave vraiment le pont. Hauts comme des buildings, les cargos n'ont pas la visite des poissons volants. A bord, jamais de silence. Au bar, à bord, les matelots pleins à ras-bord parlent dans un anglais incertain. Les cargos n'encanailleront plus la mer d'Aral. Pas plus que le Mékong, là où la glace ne fut jamais glace sous la lune. Je pars. Sortez la sirène. Pas celle qui a des écailles, mais celle qui rugit pour vous dire : bouge de là. Dans cargo, il y a go. En avant toute. MF
CAP AU NORD
La première chose que j'ai aperçu, c'est un mur blanc et bleuté. Un iceberg, navigant entre deux eaux froides. Depuis deux jours, l'horizon était vain. Et aucun albatros ne venait frôler notre solitude. Pas grand-chose à entendre non plus, sinon le bruit mou du bateau qui s'enfonce dans la houle, d'un mou à vous donner la nausée. J'étais partie du Pirée il y a trois mois. Voici deux années que je navigue en cargo. Ce n'est pas le luxe. Une bannette, souvent humide, est mon île à bord. C'est ainsi que je parcours le monde, avec aussi des rêves et quelques sous dans les poches. Les ports du sud m'ont accueillie souvent. J'y ai coulé des jours savoureux, trinqué aux rires à venir. Mais l'idée du Grand Nord ne me quittait jamais. Quand j'ai vu, sur la main courante de la capitainerie du Pirée, le départ imminent du Maraboudjoi pour le Groenland, je n'ai pas hésité. Aujourd'hui que le port approche, et malgré ce froid suspect qui me fait penser tout à coup que le mot Groenland veut sûrement dire : le pays où on grelotte, je brûle à l'idée de voir les glaces et les nuits d'éternité. Les aussières craquantes de gel sont déroulées. Le capitaine a crié l'ordre d'accoster. Me voici sur le débarcadère blanc, l'âme nue sous les aurores constellées. MF
H COMME HAMAC
J'ai voyagé dans mon jardin. «L'inconscient ne formule pas son principe d'Archimède, il le vit. La barque oisive est un berceau reconquis ». Gaston Bachelard parlait de l'eau. Nous, c'est du hamac dont nous vous entretiendrons ce jour. Deux arbres, un rectangle de toile tissé, de la corde, deux manilles, mode de transport pour un voyage immobile.
Le voyage n'est pas géographique. Le hamac ne prend d'énergie à personne mais vous en donne. Le même philosophe disait : « l'homme est transporté parce qu'il est porté ». Le hamac, serait comme la nuit, « une matière qui vous porte ». Laissez votre corps choisir la position la plus harmonieuse. Il trouve toujours, ne vous inquiétez pas. Vous avez l'impression de vous reposer sur un nuage ? Vous y êtes. Mais votre nuage sera porteur de mauvaises vibrations, si vous ne suivez l'indice discret du chat. Pour choisir l'endroit où suspendre votre hamac, observez plusieurs jours durant où s'étend et s'étire votre félidé. Son sixième sens ne le trompe pas. Il sait où la terre lui veut du bien, l'endroit où naissent les rêves et favorise ce repos rare qui vous relie à vous-même. J'ai voyagé dans mon jardin. Et j'ai vu mes pensées prendre la forme du hamac. Gagner en souplesse après onze mois de rigueur. Quelle tension ne fonderait pas dans ce moelleux. La sieste en dit plus sur l'homme qu'il n'en sait lui-même.
DANS L'EAU, H2O, IL Y A UNE HACHE ET DEUX ZOOS
Des molécules survoltées, une bougeotte chronique. Une mémoire, trois mille tempêtes, une cascade et des larmes. Il y a Victor qui traque les vers aveugles par six mille mètres de fond, le Léviathan aux têtes repoussantes qui fantôme dans les fosses abyssales. Il y a les calamars qui tentaculent et dorment en nids de vipère. Des sirènes de tulle qui enlacent les bateaux à défaut des marins, des trésors perdus pour toujours, des carcasses béantes et des ancres mouillées, des routes de requins, des bastingages rouillés, des caravanes de baleines, des rires d'espadon, des cortèges de raies, des clowns jaunes et noirs déguisés en poisson, des coraux, des vitraux, des éponges, des verts, des rouges, des bleus, des soles et des carrelets, et des sols carrelés, des poissons coffres, des bahuts par-dessus bord, des couloirs vers les pôles, des nouvelles du magma, des baudroies monstrueuses et des murènes tueuses. Des vagues avortées, des courroux refoulés, d'invisibles batailles, des lunes tombées du ciel, des soleils refroidis, des comètes belliqueuses, des miettes de météores, des squelettes d'esclaves qui dansent dans les algues, des anémones belles et méchantes, des haleines de poison, le "IC" de Titanic, l'âge du capitaine, des pépinières d'archipels, des gouffres sans fin sans fond, des montagnes bleues qui font quatre fois l'Everest, des poissons à lanterne qui errent le jour la nuit. Il y eut un iceberg.