Lundi 27 Janvier 2025
2024 / Y'A DES MARINS QUI CHANTENT
Je ne vous parlerai ni des manœuvres ni du vocabulaire des marins. Hune, mât de misaine, cabestan, pataras, vergue, winch, zoulou... Ces mots ont de l'allure, de celles qui font avancer les goélettes, mais ils n'ont de sens que dans la bouche des gens de mer, ils ne sont pas interchangeables, ils sont redoutablement précis, à l'image des ordres donnés par le seul maître à bord - et vous connaissez l'adage : qui ne lui obéit pas obéira à l'écueil.
Les chants à virer cadençaient les efforts. On devait y entendre le ''han'' du marin qui vidait ses poumons, pour soulever l'ancre au poids considérable. ''Nous l'arracherons maillon par maillon, c'est pas l'moment d'avoir les bras mous''. Pour être paré à virer, Il faut du muscle, il faut de la voix, il faut du rythme. Le marin chante aussi l'homme qui s'estime trop rarement à la besogne. Loin du continent, confiné, le gaillard est paillard. Faut bien qu'ça exulte. Extraits : ''Et sous la lune jolie, étendues sans vêtements elles ont écarté les cuisses sur le gaillard d'avant''. On est loin de la dentelle. Le chant de marin a le sang chaud. C'est du chant à boire, à hisser, à virer, bras, voix et mâts tendus. Il y a de la fraternité de comptoir, des marins qui pissent comme ils pleurent sur les femmes, qui, fondant sur un autre marin, font sangloter de désespoir le légitime, qui envoie un pare à virer au concurrent. Universelle tragi-comédie. Les chants de marins disent tout cela, sans oublier d'épingler la hiérarchie du bord, de dénoncer les injustices, la misère du pauvre gars à qui on tourne la tête avec des mirages de fortune au fond d'une gargote et qu'un peu de gnole suffit à berner. Universelle tragédie.
Le répertoire de ces chants réunit dans ses couplets toutes ces histoires humaines, que l'on ait, ou pas, le pied marin. L'injustice, la violence, la tromperie, le désespoir, l'amour, la dignité perdue, l'amitié. Rien de nouveau sous la hune. Et pourtant, ces chants à virer, à hisser, ses histoires de marins malheureux, rebelles, se chantent parfois sur des rythmes de valse. Le rythme ternaire de la valse de Vienne, danse de salon poudré, pour dire la misère. Je l'ai noté il y a peu, sur les quais de la pointe de Bretagne qui était, en juillet, toutes voiles dehors. Étrangement, voire comiquement décalé, quand on sait que la valse est apparue avec le parquet ciré et la chaussure de cuir qui autorisait le pas glissé. On est loin des cales saumurées. Avançons deux hypothèses. Ou la vie est une danse glissée sur un parquet ciré, ou les marins sont des romantiques qui s'ignorent, des vulnérables, des hommes salés à la peau tendre. Je penche pour la deuxième mon capitaine. MF