Lundi 27 Janvier 2025
LE TOUR DU BOCAL
S'évader pour fuir les rites brûlés du quotidien, des rites censés vous donner le nord mais qui mitent vos ailes. Se tirer parce que les nuages sont trop bas, parce que la mer et la terre complotent pour escamoter l'horizon. S'évader parce que le petit poisson rouge que vous êtes se cogne à la paroi du bocal, rond et transparent comme une bulle, mais une bulle qui n'éclate pas. Cruel, ce bocal qui vous fait voir la vie à 360 degrés, mais, abandonnez ici tout espoir, on ne touche qu'avec les yeux. Alors on fait le tour du bocal, et on refait le tour du bocal, pour s'aérer les nageoires. Pour s'évader, il faudrait sauter mais vous n'êtes pas un oiseau, ou alors c'était il y a longtemps, et puis vos ailes sont mitées. Pour s'évader, pas toujours besoin de scier les barreaux ou, nuit après nuit, creuser un tunnel à la petite cuillère. L'imagination est un véhicule souple. Concevez-le comme l'univers - prenons l'option qu'il est infini - avec ses planètes mues par des horlogers obsessionnels, ses nurseries d'astéroïdes baignées de gaz venimeux dont les molécules sont combinées par un doux dingue de chimie hilarante, ses trous noirs avides qui chuintent, ses anneaux de cristal extra-terrestre qui trinquent au néant, les univers à venir et les morts annoncées des étoiles. L'imagination, pour refaire le monde, le défaire, pour tourner les talons au sourire acide des jours, aux espoirs ambigus qui posent l'âme entre deux chaises. Pour s'évader, il faut aussi voir sa prison. Il y a des cages dorées : l'être humain est habile à déguiser l'enfer. A quoi reconnaît-on le piège ? Vous n'avez aucun désir d'en sortir, préférant l'émollient du ventilateur à l'air frais du dehors, les ombres de la caverne et ses chants amortis au charivari de la vraie vie. La liberté est inconfortable. S'évader pour aller où ? A vous d'ouvrir les yeux, averti que vous êtes désormais. On ne vous fera pas deux fois le coup du piège ou du bocal, l'imagination à ses limites car nous sommes des êtres de chair, désireux de caresser la vie et ses plaisirs. Vous trouverez votre terre. MF