Samedi 01 Avril 2023
Consigne :
ch'uis resté qu'un enfant
Qu'aurait grandi trop vite
Dans un monde en super plastique
J'veux retrouver Maman
Qu'elle me raconte des histoires
De Jane et de Tarzan
De princesses et de cerfs-volants
J'veux du soleil dans ma mémoire.
Mettre du soleil dans la mémoire, c'est le rôle de l'enfance. L'enfant est sur les genoux d'une mère ou d'un père aimants qui lui racontent des histoires. L'enfant rit, s'étonne, a même le droit d'avoir peur, du moment qu'il est sur ces genoux censés le préserver de l'anxiété induite par une histoire qui fait sortir de sa boîte un monstre griffu, un sorcier affreux, une trappe sans fond ou une princesse aux pois cassés. Sauf que je n'ai aucun souvenir de ce soleil-là, et donc encore moins du pouvoir de ses rayons de réchauffer mon épaule. Aucun. Si, mon oncle qui tenait ce rôle de conteur réconfortant. J'entends encore sa voix qui incarnait merveilleusement l'histoire. J'veux du soleil dans ma mémoire. Heureusement que tonton était là.
Un enfant, ça grandit vite. A peine sevré, il mue déjà et prépare son entrée à l'université. Il y a toujours dans le gynécée générationnel une voix pour mettre en garde : « ça passe vite l'enfance, il faut profiter quand ils sont petits ». On le sait bien, on le répète mécaniquement, sans mesurer l'enjeu. Nous sommes tous des enfants qui avons grandi trop vite. Le passage à l'âge adulte est un mystère. Il faut dire que la mécanique est subtile. La croissance n'a pas grand chose à voir avec un ascenseur où il suffirait d'appuyer le numéro de l'étage pour changer de niveau. Elle a ses paradoxes car tout ne croît pas au même rythme. Certains ont tout à la fois des grands pieds et un air poupin, des rêves d'adultes et des appétits d'enfants, des regards adolescents et une démarche de vieillard, des mots sages dans une bouche immature et un corps d'asperge, des genoux et des coudes écorchés avec des chemises boutonnées jusqu'au cou où commence à poindre la pomme d'Adam. Tout cela est dans l'ordre des choses. Les étapes de la vie ne s'ajustent pas au millimètre. Leurs mouvements relèvent davantage d'une subtile tectonique des plaques, qui parfois se calent, parfois glissent l'une sur l'autre, l'une sous l'autre. Il faut le temps de la mue et de ses hésitations. Et c'est bien cela la vraie vie, même si, pour rassurer tout le monde, on a inventé des rites de passage supposés clairs : permis de conduire, baccalauréat, et ma cousine, fille d'officier de marine ajouterait à la liste un collier de perles de culture, des vraies, pas en super plastique, collier qui signe la jeune femme accomplie, la princesse enfin autorisée à chercher le bon parti dans sa caste - voyez-vous sa mère compter discrètement le nombre de galons sur la manche des prétendants ?
Mais, il faut le reconnaître, certaines mères, ne sachant pas par quel bout prendre l'enfance, tirent sur les cheveux de leurs petits pour les faire grandir, les lâchant ainsi dans l'arène du monde. Elles ne le font pas exprès. Mais parfois les petits mordent le sable de l'arène. « Chui resté qu'un enfant » crie le petit gladiateur vulnérable, ajoutant un « j'veux retrouver maman ». Tarzan, l'enfant sauvage élevé par les grands singes dans la jungle africaine, a eu plus de chance. Quand ce mâle alpha, soprano de la canopée, crie « maman » avec des trémolos assourdissants qui sortent le règne animal de sa sieste équatoriale, une grosse mère gorille accourt, écrasant toute la végétation sur son passage. Lequel Tarzan, ce gamin nu devenu adulte qui préfère les lianes aux escalators, tomba un jour amoureux de Jane, la princesse qui a délaissé son cerf volant pour les peaux de bête (on peut être très bête par amour).
Laissons Jane en jupette de peau de gnou, et revenons aux enfants qui ont grandi trop vite. Leurs rêves ne sont pas forcément des rêves brisés. Ils les gardent au chaud. Ils ont ainsi des troupeaux de rêves à nourrir. S'ils les mènent jusqu'aux meilleures estives, les rêves iront loin. Et peut-être nous avec, nous qui voulons du soleil dans nos mémoires. Monique