Lundi 27 Janvier 2025
ILE DE SEIN, POUSSIERE D'ETOILE
A Sein, la rose des vents a la tête qui tourne. Chaque mur a son baromètre. Flanqué, c'est selon, d'une statue de la sainte vierge. L'îlien vit avec son temps. Le beau, que l'on vient chercher pour la journée. Le mauvais aussi, qu'on ne choisit pas.
La tempête essore son linge au-dessus des têtes. Décembre. Départ de Ste Evette, Audierne, 9h. Dans le grand salon du bateau, un cercueil en chêne. Assise à côté, une heure avant l'enterrement qui videra les maisons de l'île à la fin de la matinée, la famille répète l'éloge funèbre de Marie, 83 ans, qui revient au pays pour toujours, après un purgatoire dans une résidence pour personnes âgées dans le Cap Sizun. On se laisse dire que l'océan a toujours dansé dans les yeux de cette dame au grand coeur qui aimait le grand air. Qu'elle aimait « ramasser le goémon et faire sécher son linge au vent ». Marie aura le droit aux chants bretons dans l'église. A ce propos, côté religion, Sein est ravitaillée par les recteurs du Cap. Comprenez le Cap Sizun, qui est la (presqu)'île d'en face.
Sein vit avec la mer des amours cannibales. Entre l'île et la houle, les liaisons sont dangereuses. Le combat est encore égal. Jusqu'au jour où. La question de la solidité des digues ne cesse de hanter : le château n'est pas de sable, mais le visiteur, qui prélèverait un galet en guise de souvenir, est prévenu par une affiche : « n'emportez pas nos cailloux, ce sont nos défenses ». Faites le calcul : cent vingt mille visiteurs, cent vingt mille cailloux, à ce rythme, on met l'île à nu. Pire. Voudriez-vous qu'on parle bientôt de Sein comme de la belle engloutie ? Cette poussière d'étoile - on y a trouvé des météorites, a une peur bleue de l'océan. D'un coup de balai distrait, celui-ci, un jour, pourrait bien l'envoyer promener. En 1987, pour l'ouragan, le coefficient n'était que de vingt-cinq. Imaginez ce vent en pleine tempête d'équinoxe cogner sur le roc, sous les quais, cracher et écumer jusque sur les toits.
A Sein, les absents sont moins absents qu'ailleurs. D'abord, on devine entre les rochers l'ombre des vestales. Sein fut d'abord gauloise. Car il y eut Sena, déesse qui avait le pouvoir de déchaîner vagues et vents. Sa toison d'or était celle des algues. L'enchanteur Merlin y serait né, lui, l'auxiliaire d'Arthur, chevalier de la Table ronde. Pour les détails, adressez-vous aux Causeurs, les deux menhirs pétrifiés de la place de l'église. Et n'oubliez pas les Romains. C'est ici que César aurait été mis en échec, par « une poignée de diables de la mer ».
La tactique de la tortue romaine. La résille des ruelles fait barrage au vent. "C'est à cela qu'elles servent, à nous abriter », dit une îlienne, qui vous guide d'une rue à l'autre comme si elle vous faisait les honneurs de sa maison. Pour un peu, vous mettriez les patins. Et, bien sûr, vous éviterez d'attarder vos regards aux fenêtres. Courtois, vous serez comme on le sera ici avec vous. C'est la promiscuité qui veut ça. Le vent hurle ? On n'a pas peur de la tempête. L'île ferme les écoutilles. Avec ses maisons serrées comme des pilchards dans la boîte, elle fait bloc. Au sens propre et figuré. Ici, on appelle cela "la tactique de la tortue romaine". On s'abrite, sauf s'il y a des vies en jeu. Un équipage à sauver, une patrie en danger, même combat. Appel du général ou du simple marin, les gaillards sont sur le pont.
« Nous ne sommes pas coupés du monde, nous sommes même moins isolés qu'ailleurs. Sur l'île, chacun trouve ce qu'il veut bien trouver. Et on ne vient en aucun cas pour régler ses problèmes personnels. Quand c'est le cas, la greffe ne prend pas. On s'intègre bien si on est bien", dit Hervé. Small is beautiful, mais une île n'est pas forcément un paradis. Alors, retenez ceci : « ne vous mêlez pas des histoires des autres ». MF