Frontière

Mercredi 04 Janvier 2023

Frontière

Parce que l'herbe est plus verte ailleurs, l'âne saute la clôture. Il voit le monde sans carte et sans frontière, mais résiste mal à l'herbe grasse et au moelleux du pré. Je sais faire l'âne moi aussi. Au printemps, je m'habille couleur talus, - lequel sépare mon terrain du petit bois derrière chez moi -, le franchis, puis marche à pas moussus jusqu'à l'orée de ce petit bois – non sans avoir au passage bataillé avec des ronces grosses comme deux pouces – pour atteindre un massif fabuleux de jonquilles. Celui-ci forme une ligne jaune à la limite ouest de la petite forêt déserte, territoire des chevreuils couleur d'écorce, du renard, de la chouette et du blaireau fouisseur qui dénude les racines comme des fils électriques. Pour fêter le printemps, comme d'autres trinquent au passage de l'équateur, je franchis cette orée avec allégresse. De la route, je l'aperçois au loin, comme un trait en écho au flash corail de l'aube. Je cueille donc de ces fleurs. Je ne suis pas censée fouler ce bois, même si je n'y vois jamais personne, même si les jonquilles y flétrissent par centaines chaque année. Je les cueille, car la jonquille n'a qu'un temps, et que le nombre de mes printemps n'est pas illimité. Je les cueille, pour rendre hommage à leur insolente floraison, et pour entretenir ce qui relève, peut-être, des derniers feux. M

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